Classiquement, c’est en choisissant le métier que je voulais faire que j’ai quitté la maison. Etre éducatrice pour jeunes délinquants est une idée qui m’est venue tôt, vers l’âge de 16 ans. Peu de temps avant, je m’étais demandé si diaconesse (religieuse protestante) ne pouvait pas être un destin pour moi. Et puis, à la maison paroissiale de Vux, dans la campagne non loin de Fontenay, j’ai rencontré mes premières diaconesses en activité : elles encadraient un camp de vacances pour des filles, dont elles s’occupaient toute l’année dans leur maison nationale parisienne rue de Reuilly. A cette occasion j’avais discuté avec une de ces adolescentes rebelles et, en dépit de la contradiction qu’elle m’avait apporté en contestant ma compétence à faire ce métier (parce que trop protégée et, d’après elle, pas assez « affranchie ») je m’étais comme entêtée à cette idée. Quand j’ai fait les recherches, concernant la formation professionnelle à mener pour devenir éducatrice, c’est tout naturellement que la formation Justice s’est présentée à moi, avec son école d’Etat. Par chance, en y étant admise, j’entrais dans la fonction publique et je gagnais mes premiers sous, en étant rémunérée comme stagiaire par le ministère de la Justice. A la réflexion, être éduc spécialisée aurait demandé un tout autre investissement puisqu’il m’aurait fallu alors entreprendre 3 ans d’études non rémunérées (à l’école d’Olivet par exemple, proche d’Orléans où la famille avait déménagé l’été 1967). Cette option était, je crois, impensable, vu les jeunes frères et sœurs à la maison et à la charge des parents. Mais de toutes façons elle ne m’a pas effleurée. J’ai donc vécu mon passage à l’autonomie de façon plutôt confortable. Avant d’entrer à l’école d’éduc, j’ai dû attendre un an pour avoir l’âge requis. C’est ainsi que je suis partie travailler au pair, dans une famille grecque d’Athènes, et que j’ai choppé le virus des voyages. C’est ainsi aussi que j’ai commencé l’apprentissage de mon indépendance, avec le grand plaisir de la découverte de pays étrangers.
Tout autre a été le chemin choisi par Odile pour acquérir son autonomie. C’est en « montant à Paris » pour, entre autre, faire du théâtre, qu’elle y est parvenue. Après avoir eu son bac à Orléans en 1968, elle s’est inscrite en lettres à la faculté de Vincennes. Cette fac venait d’ouvrir, il me semble, dans la mouvance des idées nouvelles brassées au printemps 1968. Maman, qui l’avait accompagnée pour son inscription, m’a dit se souvenir qu’il y avait encore dans l’air parisien comme des relents de gaz lacrymogène. Odile était encore mineure puisqu’à l’époque on l’était jusqu’à 21 ans ; on ne l’est devenu à 18 ans qu’à partir de 1974 (ce doit être Sylvain qui a vécu le premier cette propulsion rapide vers l’âge adulte ; peut être n’était ce pas si facile ?) La fac de Vincennes avait la particularité d’être accessible aux travailleurs, pas seulement aux étudiants. Sans doute pour Odile cela a t’il joué dans le choix qu’elle a fait car, tout en poursuivant des études, elle travaillait en effet. Elle a eu plusieurs jobs : hôtesse d’accueil au salon des Arts ménagers, ou dans un salon de bateaux, ou encore à la bibliothèque nationale. Mais je suis sûre que si elle a choisi Paris, c’était d’abord pour le théâtre. Elle y avait pris goût à l’occasion des fêtes paroissiales. A Chassenon, nous avons toutes les 2 joué, avec d’autres jeunes de la paroisse, « les fusils de la mère Carrare » de Bertold Brecht par exemple, où j’étais la mère et elle le fils. Elle excellait dans ce rôle, Monsieur Alizon en particulier l’avait remarquée.
L’été 1968, elle a fait un stage de théâtre à Nancy, dans la compagnie où jouait Robert Hossein ; elle y était partie avec un copain d’Orléans, avec qui elle a rompu en cours de route. A Paris, elle a été prise dans 2 troupes, au moins, une qui a présenté une pièce de Villon au théâtre rue de la Gaîté (la pièce dont parle Flo et Irène aussi) ; et puis elle a fait partie de la troupe de Vincennes : le théâtre du Soleil. C’est par le théâtre qu’elle a connu Claude qui en faisait lui aussi, je crois bien.
Les détails les plus précis, je les tiens de Maman, que j’ai interrogée l’année dernière, au moment où j’ai cherché pour Valentin qui me l’avait demandé, à évoquer avec lui des souvenirs de sa maman (j’espère au passage qu’il lira le blog qui complète ce que je lui ai déjà dit). Grâce à son travail Odile s’était acheté une voiture –je suppose qu’elle s’était aussi payé le permis de conduire, à moins que, comme moi, elle n’ait quitté la maison après l’avoir eu, financé par les parents—et c’est avec sa propre voiture et en compagnie de son ami tunisien Moni qu’elle est partie en Tunisie, chez lui. Mais arrivée là bas, elle s’est sentie comme « séquestrée » par la famille de Moni. Elle avait fini par téléphoner en PCV aux parents ? Et ils avaient alors saisi l’opportunité d’un poste qui se présentait à l’ORTF pour lui envoyer une lettre lui enjoignant de rentrer en France, avec le billet de retour (train ou avion ?)C’est ce qu’elle a fait, mais en arrivant c’était trop tard : la place était prise. Rien ne dit qu’elle l’aurait eu d’ailleurs, mais elle possédait sûrement des atouts pour faire l’affaire ; on était à l’époque moins regardant sur les formations et certains profils professionnels se dessinaient plutôt au feeling. En tout cas, son histoire avec Moni était bel et bien finie.
Pour Odile donc, la prise de risque en quittant la maison a été évidente, volontaire d’ailleurs je pense. Elle voulait, comme chacun de nous tous, mener sa vie à sa guise, mais avec un esprit de révolte plus fort que le mien, je le crois. Le risque est inévitable, il me semble, pour tout jeune adulte qui se lance dans la vie. Mais il s’accompagne d’un certain nombre de garde-fous qui peuvent nuancer beaucoup, d’une personne à l’autre, les dangers traversés.